Amicalement

Retour à l’hôpital, parcours mécanique où les pas nous mènent quasi machinalement, dédale de trottoirs, traversées trop connues, ascenseur qu’on retrouve comme si c’était hier, bouton vers le 7e, non, pas le septième ciel, juste l’étage avant, celui de ceux qui espèrent, celui de ceux qui pleurent, celui de la foi en la plus grande des religion : la vie. Tenue adéquate et les pieds déguisés en bleu, voilà qu’on pénètre dans le couloir de la vie, c’est ce qu’on en espère pour ceux qui patientent dans leurs cellules, pièces vitrées, bocal de verre ou le patient patiente, s’impatiente, et mène le combat pour la vie. En cas d’urgence, briser la vitre peut-on lire parfois, là, bien au contraire, il y a urgence et la vitre est protectrice, certes, elle empêche de se parler comme il faut, sans ces téléphones filaires d’un autre âge, dans un couloir partagé entre visiteurs de ces quatre patients, où les conversations se mélangent, se frôlent, s’entrechoquent, ne peuvent se chuchoter sous peine de ne pas traverser la paroi, mais la vitre permet de voir, tout comme quand enfants on nous disait « tu touches avec les yeux et tu regardes avec les mains » Mais c’est vrai qu’on peut toucher avec les yeux, tout comme on peut être touché par le regard, et le plus dur est aussi cela, l’écart entre maladie et impression. Le regard pétille, le teint est bronzé, la mine bonne mais c’est à l’intérieur que la maladie ronge, tout en vous laissant bon teint. Alors, on rit parce qu’on a pleuré, alors on plaisante parce qu’on est en vie, alors on rêve de ces lendemains qui nous foutront enfin la paix. Alors on a bien envie de le déchirer ce calendrier, parce qu’une période de fête n’est pas festive lorsque la table n’est pas pleine, parce que penser aux réveillons, aux anniversaires, aux joies d’une année de merde qui s’éteint lorsqu’on tutoies les combats, les vies qui s’éteignent, la chaleur des personnels soignants, ça fait relativiser toute l’arrogance de ce monde d’enfants trop gâtés que nous sommes.

Pourquoi faut-il attendre de tutoyer le bout de la vie pour en mesurer le sens ? Les sourires ne sont pas feints, le ciel au-dessus du toit, les draps bien pâles et les liens bien serrés, juste l’envie de partager, le vol d’un oiseau, le décollage de deux mirages, vivre libre, même enfermé et isolé, c’est vivre ses émotions, comprendre que tout est superflu, que rien n’est essentiel, que les plus grandes prisons sont celles qu’on se bâtit nous-mêmes. On repousse le moment de voir les gens qu’on aime, on repousse le moment de leur parler, même au téléphone, on s’interdit d’appeler, de voir les amis d’hier parce qu’on a changé de vie, parce que le conjoint est là, parce que….. Parce qu’on est trop con, parce qu’on préfère pleurer devant une caisse de bois, une dalle de pierre, et se disant « si j’avais su » sans se rendre compte qu’on sait pertinemment les choses, que notre seules œillères sont posées sur nos yeux par notre volonté, ou plutôt, notre absence de volonté. OUI, ça coute de bouger, mais merde, que vaut-il mieux ? Un instant de vie ou un bouquet de chrysanthème à une date inscrite sur un calendrier, juste pour faire comme le troupeau, aller fleurir la tombe des êtres chers de quelques euros, engraisser les fleuristes, obéir au système et se rappeler les escapades, les plaisanteries, les discussions, les instants de vie….. Et oui, on pense à la vie lorsqu’elle risque de fuir le corps de nos amis, quand elle n’a pas déjà fuit. Je me fous du temps, je me fous des périodes, je me fous des soi-disant convenances, je vis et j’agis, chaque instant partagé est un instant vécu, une parcelle de vie, une leçon. Je sature de ces faussetés, faux discours, messages croisés, synonymes de manque d’envie. Trahi-t-on si on appelle quelqu’un d’une vie passée ? Non, on se trahi soi en n’appelant pas, on trahi la personne de ne pas l’appeler. Il n’y a pas de demi mesure en amitié, il y a un lien, visible et non invisible, mais ce mot-là se pare de trop de faux sentiments de nos jours.

Couloir ouvert sur le monde et le ballet des avions, la vitre est partout, le téléphone à l’oreille, on rit, on plaisante, on parle sérieusement, on n’ose pas faire des projets d’avenirs par cette connerie de superstition profondément distillée dans nos racines à couche de religions et d’éducations, mais ils pointent le bout de leur nez, parce que la vie reprend ses droits, toujours, parce que les parfums de garrigues titillent nos narines, parce qu’une journée de détente, de marche et surtout de convivialité autour d’un repas tiré du sac, autour des plaisanteries et de notre belle amitié, il n’y a rien de meilleur ni de plus vrai. Alors, oui, c’est une étape, un contre temps, alors oui, c’est dur à accepter, alors oui, on vient, et on est là tout comme on sera toujours présent, parce que c’est ainsi, parce qu’on en a partagé des joies et des peines, parce que la coupe de l’amitié n’est jamais pleine, parce qu’on sait, tout simplement, ce qu’amicalement veut dire et que surtout, on ne le galvaude pas. Amicalement, voilà, c’est dit, mais ça, a-ton besoin de le dire ?

Allez, le combat est en cours, le couloir de la vie ne peut-être sinistre, on vient, on rit, on se sent en vie, entre amis, on s’allie.

A toi…. Je ne dirai pas mon vieil ami, car l’amitié n’a pas d’âge, et on se fout de savoir depuis quand on est ami, moi, ce que je sais, c’est que c’est pour très longtemps, la balle est dans ton camp….

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ca fait chaud au coeur !