Printemps

Est-ce le printemps qui pleure le départ de l’hiver, ou est-ce l’hiver qui pleure de devoir céder sa place ? La pluie des premiers jours du printemps donne là matière à réflexion, encore une fois, il y a toujours plusieurs façon de voir les choses, la même chose, selon notre propre personnalité, selon notre vécu, sans tomber dans les images du verre à moitié plein et du verre à moitié vide, entre hiver et printemps, il pleut, là est le constat. On peut aimer la pluie tout autant que le soleil, on peut préférer le soleil à la pluie, on peut tout est son contraire et c’est bien là la plus grande des libertés qui soit. On peut en débattre, d’ailleurs, on parle souvent de la pluie et du beau temps, il arrive même que certaines personnes arrivent à faire la pluie et le beau temps, du moins, d’après ce qu’on raconte, car même si on entend parler de faiseur de pluie, il est bien plus rare de parler de faiseur de beau temps. Il pleut, le ciel est bas et gris, mais au-delà des nuages, il existe toujours un endroit bien plus bleu, bien plus beau quelque part. Exemple récent, randonnée prévue ce week-end, dans le cadre idyllique et dépaysant du bord de mer, entre flamants roses et vaste étendues d’eau, léger relief et air marin, mais la dame de la météo nous a affiché un ciel bien noir au dessus de ces contrées visées. Qu’à cela ne tienne, un simple demande, pas même une prière au dieu internet et nous voilà à marcher allégrement dans les splendides paysages ariégeois sous le soleil et à l’abri du vent bien encore trop froid. Nature, éveil de la végétation, cicatrices de la tempête qui est venue bousculer des sapins qu’on prenaient pour inébranlable autrefois, de jolis traits de neige encore éternelle pour identifier le relief des versants nord, c’est une succession de moment de bonheur qui sont là, offert, à qui sait poser les yeux, le regard, à qui sait surtout s’émerveiller encore de chaque tonalité de vert fragile dans un décor de fougères roussies par le froid, ces feuilles tendres et à la couleur presque fluorescente tant le regard est noyé par le vert sombre des aiguilles des conifères. Ouvrir les sens.

Voir, découvrir le relief bien différent lorsque les arbres sont encore nus, lorsque les fougères sont aplanies par les neiges successives, brulées à mort par le froid linceul. Retrouver du bout des yeux, ceux de l’extérieur, les détails de ces paysages si souvent gravis, à pied, en vélo, en mobylette, et même en voiture, mea culpa….. Retrouver les tuiles si chères au cœur, deviner la silhouette imposante des murs de pierres qui furent vaisseau et terrain de jeu pour moi, qui furent labeur et dépenses pour mes parents. Les yeux de l’enfance voient loin dans les pays enchanteurs des rêves, devenus adultes ils reviennent à la réalité que nous baptisons trop souvent de triste. Ouvrir les yeux de l’intérieur et se réchauffer au soleil des jeunes années, jouir du bonheur d’être là, ici et maintenant, de balayer à la fois l’intérieur et l’extérieur, sans s’embuer dans la nostalgie mais au contraire, puiser la force, l’énergie, la joie dans les joies de l’enfance accumulées tout au fond de nos neurones, trop souvent cachées par des tonnes de grisaille.

Entendre, les oiseaux déployer leurs gorges pour plaire et attirer, les crissements de nos pas sur les feuilles, usées, desséchées, se transformant en poussière sous les semelles crantées. Poussière, tout n’est que poussière, la matière disparait toujours, elle se réduit, perd de sa rigidité pour s’affiner et s’envoler, exit la poudre aux yeux. Les sons des villages d’en bas remontent le long des pentes, rebondissent d’arbre en arbre jusqu’à venir caresser nos tympans. Sonnailles des vaches ou autres moutons, cris strident de tronçonneuse, parfois quelques cris d’humains qui s’interpellent. Qu’il est doux de devoir tendre l’oreille pour entendre des humains.

Sentir, les odeurs de résine que le soleil exhale, l’odeur de l’herbe du foin qui nait, se réveille d’une longue torpeur, respirer cette joie, cette symphonie de bonheur d’une nature en éveil, se saouler de l’allégresse et se sentir en communion avec elle. Sentir l’air pur, ça peut paraitre idiot mais pourtant, dans nos villes, dans nos endroits trop confinés, nous ne respirons plus que des airs stéréotypés, parfumés, transformés, oubliant à force l’odeur de l’air pur.

Toucher les dernières neiges du bout du pied, ou à pleine main, avec la candeur d’un enfant, sans se souvenir combien nous l’avons maudit cette même neige tombée sur nos routes de citadins trop pressés. Sentir la matière sous le pied, la terre battue et durcie par les ans, les chocs subis et répétés de marcheurs, humains ou animaux, parfois même hélas par des véhicules. Apprécier la souplesse du sous bois, sentir le pied s’enfoncer dans l’humus moelleux, deviner le caillou caché par les couches de feuilles tombées. Toucher du bois, non par superstition mais parce que pour avancer dans la forêt on prend parfois appui sur les arbres. Différence des écorces, rugosité variée, hêtre lisse et chêne rugueux, être lisse face aux chaines qui viennent nous rudoyer, les leçons de vie sont partout et toujours en vie.

Gouter le brin d’herbe tendre à la sève évoluant entre sucré et acidité, mais bien plus encore, gouter au bonheur d’être ici et maintenant, vivant, entier, bien au-delà du simple inventaire de nos membres, entier dans notre structure, notre vie, notre être et notre façon d’être, entier sur l’échelle des émotions, entier dans l’escalier de nos sentiments où chaque marche compte bien plus qu’on ne le croit, bien plus qu’on ne le perçoit. Gouter cette pause hors du temps, se poser dans sa vie, s’asseoir, tirer le repas du sac et déjeuner devant l’écran magique de ces paysages que la nature et l’homme ont forgé dans une communion trop disparue aujourd’hui en bon nombre d’endroit.

Les sens sont en éveil et même bien plus que cela. Ils sont aux aguets, prêts à capturer la moindre étincelle qui sera allumer le braisier d’un feu de joie bien négligé en d’autres temps. Savoir se servir de ses propres outils, savoir mesurer, écouter, respirer, entendre, sentir, ressentir, c’est si simple lorsqu’on prend la peine de s’y attarder, mais c’est la plus belle des thérapies pour chasser les nuages, repeindre le ciel en bleu et se baigner d’une douce euphorie qui nous fait même apprécier les gouttes de pluies. Au final, pleure t-on le départ de l’autre ou son propre départ ?



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il est des instants de lecture qui font des instants de bonheur. Mon enfance revient, belle, insouciante et heureuse.......
Merci cher ami pour ce don d'écriture.