Grisaille


Retour de la pluie, bienfaisante, apaisante, irritante, c’est selon…. Il pleut sur des sols si secs que la nature ne peut qu’apprécier ce juste retour de la vie. Jusqu’à présent, seule la rosée nocturne ne venait abreuver ces brins d’herbes jaunies par tant de chaleur. Il pleut sur des jours de pause que l’on aimerait passer encore dehors, l’habitude est prise, bien ancrée, de s’en aller respirer l’air extérieur, qu’ils fussent loin ou du jardin, mais là, voilà ti pas que la pluie a scellé les fenêtres, donné des envies de flambées aux lueurs incandescentes, ravivé la torpeur qui soudain fige les muscles, repoussent quasiment sans appel la soif de sports….. Oubliés les sculptages de corps à coup de kilomètre couru ou nagé, exhibés les pulls déformés mais ô combien confortables, que voulez-vous, les jours raccourcissent, les tenues rallongent comme les thermomètres descendent, c’est le principe des vases communiquant, principe inverse de celui qui vint en début d’été….. Eté, bel été, puissante saison, quand tu viens, tu rallonges les jours, fait grimper le mercure et raccourcit les tenues, quand tu pars, tu raccourcis les jours, fais chuter les températures et allongent les tenues ! Quel effet, quels effets, de modes et de temps, saison multiple et adulée, tu arrives, tu chauffes, tu réchauffes bien plus que les cœurs avant de t’en aller te fondre en un automne qui cette année pleure à grosses gouttes, un trop plein de larmes accumulées par tant de jours de sécheresse. Bien sûr, il ne faut pas borner le regard aux cieux trop gris et trop bas. Bien sûr, au-delà des nuages le ciel reste bleu et pur, le soleil luit et l’eau est source de vie. Bien sûr il est bon de se retrouver dans sa maison, de se laisser aller au repos après tant d’agitation, mais les envies d’hier ne s’effacent pas aussi facilement, les besoins de mouvement de s’étouffent pas en un claquement de doigts, et, comme toute période de transition, il est difficile de la traverser. Après le temps des cigales, voici venu celui des fourmis. Le bois sec stocké précédemment va bientôt crépiter dans la cheminée, les projets intérieurs vont sortir des cartons tandis que ceux d’extérieurs n’auront pas été encore clôturés. Ainsi va la course de l’homme moderne, on court toujours après le vent, après des envies, après des projets, et l’horloge tourne, et les étapes s’enchainent….

On ne vit pas aujourd’hui par accident, chaque pierre posée repose sur la pierre précédente, même si parfois il a fallu un bon coup de marteau pour la positionner, même si parfois il faut une bonne couche de ciment pour en gommer les rugosités. Rien n’arrive par accident, rien n’existe par hasard. Tout est imbriqué pour former le grand livre de notre vie. Demain succédera à aujourd’hui comme aujourd’hui succède à hier, c’est la juste normalité des choses, et non de faire vivre hier dans aujourd’hui, encore moins dans demain. Les coups de marteau sont nécessaires pour aplanir les arrêtes et poursuivre l’édification, ils prennent parfois du temps, car, dans le cours de nos vies, un pierre en place ne s’ôte pas pour la remplacer par une plus apte à l’avancement. On compose avec, on redresse les choses, on laisse le temps éroder les saillies pour que les étapes suivantes s’y posent sans encombrent. On ne vit qu’une fois, c’est peut-être dommage, c’est peut-être tant mieux, de toute façon, c’est ainsi. Certains cherchent le petit grain de folie qui manque à leur vie, d’autres effectuent de véritables vendanges, c’est ainsi. Il est bon de vivre certaines expériences, il est bon de savoir aplanir les angles pour construire la suite. Il est des étés plus brûlant que d’autres, il est des automnes plus lumineux que leurs prédécesseurs. La pluie dès lors est remplie d’allégresse, elle déverse la vie dans les veines asséchées, elle clame la joie dans l’éclat de verdure qui réapparaissent de-ci, de–là, illuminant nos paysages tant brûlés. La vie. Le feu et l’eau. Le feu sur l’eau, comme un phare guidant les navires vers lui, comme une lumière qui luit jusqu’au bout de la nuit, image omniprésente de ce point focal focalisant les regards perdus dans l’immensité sans repère, ce point qui nait, faible éclat, pale lueur, puis lumière éclatante au fur et à mesure qu’on approche de la côte. Lueur du foyer sous le déluge des cieux, flammes dansante qui réchauffent et assèchent à l’abri de l’ondée, éléments opposés et opposables, éléments nécessaires comme tous les éléments, d’ailleurs, comme pour tout élément, on ne peut vivre sans, on compose avec.

Dernier jour d’été. Demain, l’automne sera affiché. Comme il est parfois moqueur, il ne manquera pas de se parer de ses plus beaux rayons pour montrer que l’été n’est pas seul à pouvoir chauffer. Le temps d’arriver, le temps de s’installer, le temps de parader, et, si ses nuits sont courtes ce n’est que pour mieux les partager. Repli stratégique, après les récoltes viennent les temps festifs, la chaleur du foyer n’est pas meilleur endroit pour se retrouver. Ce n’est pourtant pas prétexte à se recroqueviller, non, juste trouver la nouvelle respiration, opérer la mue saisonnière avant de repartir profiter des joies offertes dans chaque éclat de pluie.

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