en bas de l'échelle

Se retrouver en bas de l’échelle permet de relativiser de bien des choses, surtout si la façon de s’y retrouver s’avère brutale… Comme il est bien souvent en tout texte du vécu, voici comment celui-ci fut amené. Par une belle journée d’été, (et oui, nous sommes encore en été) donc, par une belle journée d’été disais-je, de ces jours de septembre ou l’ardeur solaire cuit encore l’herbe qui commençait à peine à rire de verdeur, grande opération de changement de tuiles du toit du garage, opération complexe du fait de l’installation récente des panneaux solaires photovoltaïques. La complexité venant de l’étroitesse des bandes à couvrir, qui plus en est en bordure de toiture, au ras de cette surface sombre, lisse et brillante qu’il ne faut point utiliser comme appui. La première étape étant d’enlever les vieilles tuiles relevait d’une folle course d’un toit à l’autre pour ôter d’un côté, poser en attente de descente les tuiles fortement abimées de l’autre avant de les récupérer sur le dos pour les descendre par une échelle, la fameuse échelle précédemment citée. La seconde étape, consista à poser de nouveaux liteaux, les tuiles neuves n’ayant pas, curieux hasard des marchands de matériaux, la même taille que celle à remplacer. Décapage des voliges sous-tuiles, dépose à coup de burin des amas de ciment qui tentèrent de coller la première rangée de tuiles, liteaux neufs, surépaisseur de liteaux pour que les tuiles enchâssent agréablement à l’œil les panneaux photovoltaïques, pose des tuiles neuves montées à dos d’homme par le chemin inverse de la descente des vieilles tuiles, vissage de ces dernières voilà qui, au long d’une journée ou le soleil croissait au rythme du mercure dans le thermomètre, enrichissait le toit d’un bel écrin de vermeil, pratiquement assorti au bronzage des bras dénudés et inversement proportionnel à l’état de fraicheur musculaire. Bref, d’un côté le toit se paraît de ses nouveaux atouts, de l’autre les jambes tressaillaient sous les montées et descentes d’échelle, sur la course sur les toits autour pour porter un outil, un liteau, des tuiles ou autres matériels.

Au cœur de l’après-midi, par plus de 30 degrés et par autant de manque de fraicheur physique, je m’occupai à grimper et descendre l’échelle pour descendre les vieilles tuiles fortement effritées, d’une main et de mollets fermes. Soudain, par je ne sais quelle opération, ou plutôt, par je sais trop comment cela c’est produit, l’échelle se mit à descendre sans moi…. Oh ! Quelques fractions de ce temps qui nous parait si précieux et qu’on gaspille si inutilement tout au long de notre vie, car par la magie de ce brave Newton, l’attraction terrestre se révéla fort attractive, et, à peine le temps de songer à m’agripper à la gouttière, je me retrouvai à plat sur le sol, dans un vacarme de tuiles brisées me faisant croire sur l’instant que le toit entier avait dévalé dans ma chute. Un peu vexé, beaucoup endolori, je me relevai prestement pour m’en aller entamer une danse anti courbature dans le jardin attenant. Le temps aussi de regarder les dégâts : Le bracelet métallique de ma montre s’est brisé en morceaux, non sans avoir au passage tailladé les chairs qui laissaient s’écouler un sang rouge clair, des bouts de tuiles au cours de leurs vols rapides sont venus dessiner de jolies virgules rouges sur mes bras, le coude n’ayant que peu apprécier sa rencontre brutale avec le ciment de la terrasse laissait lui aussi jaillir ses larmes de sang, tandis que la cuisse se révéla douloureuse dans ces quelques pas sur la terre ferme. Revenu sur le lieu du crime, car on revient toujours sur le lieu du crime, je contemplai la traitresse dans sa position horizontale, un barreau plié sous le choc de mon corps reçu, des bouts de tuiles éparpillés de-ci, de-là, et j’analysais les choses.

Tout d’abord, principe élémentaire de physique appliquée, on ne dépasse jamais un certain angle entre le pied de l’échelle et le sol, sous peine que les forces s’exerçant sur le pied ne le poussent à s’éloigner du mur, or, c’est bien connu, c’est au pied du mur qu’on voit le mieux le mur ! En d’autres termes, pour avoir mis trop de pied à mon échelle, j’ai chu, mais chut ! Ne le répétez pas ! En prenant appui sur le haut de l’échelle pour saisir les tuiles vieilles posées sur le toit, j’ai fait basculer mon échelle support par un bras de levier dont l’éloignement de mes cours de physiques de ma scolarité m’empêche de vous décrire en des valeurs plus exactement techniques….

Ensuite, une échelle à plat, ce n’est pas beau et parfaitement inutile.

Ensuite, je me félicite d’avoir garder mes jambes couvertes de ce solide pantalon sans quoi j’aurai vu perler mes gouttes de rouge rosée le long du parcours des éclats de terres cuites. Instinct de conservation ?

Pour conclure, bien au-delà des maux et de ces quelques mots, la conscience soudaine que j’aurai pu vivre-là mes derniers instants, par la mauvaise réception ou je ne sais quel objet contondant, j’aurai pu quitter, par un bel après-midi d’été, au seuil de ma maison, la vie, ou, au pire, voir pire, mais là n’est pas le débat, ma mobilité. Certains y verront en ces dernières phrases une mauvaise nouvelle, désolé de les y décevoir, d’autres, y souriront à la bonne chute de cette chute. Pour ma part, je sais que depuis ce jour-là, je songe entre ces trois alternatives : vivant et mobile, vivant mais cloué, mort…. De ce songe-là, je relativise bien des choses, bien des broutilles auxquelles on accorde que bien trop d’importance. Toutes ces bêtises qui font qu’on se gâche le sang, tous ces éclats de tuiles dont le sort n’est que d’être jeté au sol, dont l’unique vocation est d’être piétiné pour avancer sur le chemin ainsi empierré. Trop de temps perdu à vouloir redresser chaque tort, trop de temps perdu à vouloir polir chaque éclat pour en faire une belle dispute, une raison de s’attarder et de fuir la progression. Quelques jours ont passé. Les cicatrices rappellent le cuisant souvenir. Les bleus au violet pur tracent cette folle embardée. Mais le plus fort reste la mémoire, ces instants de vol en apesanteur si rapide mais tellement présent, ce temps volé au temps, cette vie arrachée à la vie, ce défi à la mort dont on sort doublement vainqueur : vivant, sans trop de séquelles (oui je sais, j’avais déjà le compte avant !), le regard brillant et souriant sur la ligne d’horizon. Je ne sais de quoi demain sera fait, mais je sais que demain sera là et que c’est moi qui en ferais mon lendemain.

Belle journée à vous, il est si agréable de vivre et de jouir du temps présent….

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