Quelle
étrange idée, quitter le sud et ses chaleurs et ses foules pour s’isoler sur
même pas un bout de terre mais un simple caillou émergeant des flots et sans
cordon ombilical le reliant au monde ? Un choix de vie, un choix d’envie,
le choix de la vie. Simple, tranquille, calme et détendue. La vie, tout
simplement. Loin des miroirs aux alouettes, loin des modes, des fausses
tentations, loin de ce monde devenu trop superficiel, c’est en somme en retour
à l’essentiel. Un retour à la vie, une renaissance, un isolement qui n’en est
pas, un repli non pas sur soi mais vers soi, comme seules les étapes en
solitaire sur les sommets peuvent en offrir. L’abandon d’un modèle de vie pour
un autre. Oublier l’avoir pour découvrir l’être et être plus qu’avoir, un
mantra plus qu’un credo, pourvu qu’il y reste du papier, un stylo, de quoi
noter, revenir de temps à autre à ces jeux d’écritures qui sont autant de
moments de plaisirs, de voyages et un peu de partage.
Les
valises sont bouclées, les meubles abandonnés, les placards vidés, les clés
sous le paillasson qui ne dit plus bonjour mais bon vent. Les volets sont clos,
le feu est éteint, les herbes folles dans les vases trahissent le progressif
abandon des lieux, il ne manquerait qu’un voile de brume pour adoucir le
tableau en estompant les contours d’une ancienne vie, ou plutôt, d’un épisode
clos d’une vie qui poursuit. Un taxi qui démarre, une gare, des trains, une
autre gare, d’autres trains, un autre gare au bord de l’eau cette fois-ci, des
bateaux, un bateau, des vaguelettes puis des vagues, un ciel gris riche de
mille gris, plus une terre autour, des roulis, des tangages, un relief, un mur
dans la mer, des vagues qui se brisent dessus, un virage, une corne qui rugit,
un arrêt et des passagers qui se pressent. Lui ne bouge pas, il serre sa
valise, avance lentement, comme voulant profiter de ces derniers pas sur ce
bout de continent mobile, comme pour se préparer à poser enfin le pied sur le
caillou, sentir la pierre profondément ancrée à la Terre, la belle planète
bleue que tant d’hommes assassinent, respirer ces odeurs d’iode et de poissons,
se sentir vivant et en même temps enfant. Comme l’enfant quittant le ventre de
sa mère, il quitte les flots de la
mer pour cette ile, il reste un moment à l’arrêt, à regarder les bateaux bien
alignés, à s’assurer que le gros pourvoyeur de vies s’en retourne vers les
cieux gris, et là, il pleure, des larmes salés comme la mer, des larmes neuves
comme sa vie, des larmes de bonheurs à venir, des larmes d’épisodes désormais
enfuis de l’autre côté de l’eau, de l’autre côté d’aujourd’hui, de l’autre côté
de celui qu’on oublie. Il est à l’aube d’un nouveau jour, le premier de sa vie,
celui d’ici. Il n’est plus parti, il ne s’est pas enfui, il est ici et
maintenant, peu importe hier, peu importe avant-hier, la vie se vit au présent,
le futur ne s’écrit qu’au présent, avant il se rêve, il s’espère, il en devient
troublant et finit par bouffer l’essence même de la vie, le seul et unique
moment : le présent. Le soir tombe dans le bruit de vagues, quelques
oiseaux de mers deviennent des oiseaux d’iles en rasant les reliefs avant de disparaître dans l’abri d’une crique, de quelques buissons, d’une plage
invisible. Machinalement, il remonte son col, empoigne sa valise et traverse le
port et ses bâtiments colorés, il marche lentement, les yeux encore humides
mais heureux, il gravit la route principale qui conduit au bourg, rangées de
maisons à peine désordonnées qui essayent de se blottir autour de l’église,
quelques commerces s’affichent en vitrines, puis quelques maisons autour de ces
routes tendues comme des fils sur une toile d’araignée, puis des jardins, des
friches, des landes, d’autres maisons et tout au bout de chacun des fils, une
falaise où les flots grognent parfois. Le vent souffle sans forcer, quelques gouttelettes
viennent caresser le visage comme des bouts de bienvenue, quelques pas dans une
obscurité de plus en plus présente et enfin le portillon de bois sans clé, le
bout de jardin à traverser et la vieille porte où grince la clé. Il y est.
Patience, peut-être qu’une fois le bagage ouvert, le cœur reposé, la page
tournée, il nous écrira…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire