A jamais

Assis devant le monde, le regard perdu dans l’immensité, à peine quelques crêtes d’écumes s’en viennent souligner d’un trait de relief ces vagues molles d’un jour de janvier. L’air est frais, vif, mordant pourtant il est bienfaisant, respirable, il nettoie les poumons et emporte avec lui les pensées un brin morose. Quelques pas sur la côte, un sentier succédant au goudron des vieux chemins, quelques marches pour gravir le dénivelé d’un brin de falaise effondrée par les flots, des murailles de pruneliers et autres ronciers entre lesquelles il fait bon marcher puis enfin, posé comme oublié un banc face à l’océan, une invitation à voyager. Assis. Quelques notes de musique, le piano sonore aux notes posées entre deux silences pour accompagner le voyage et se laisser emporter. Loin. La foule n’est plus, la foule s’est tue, la foule adieu. Personne, que le vol précis des goélands, les cris des grisards attendant la pitance, que le souffle du vent dans les arbrisseaux. Symphonie. Le ciel est gris, de ces mille gris qui feraient tout à la fois le bonheur et le chagrin des peintres, difficile à cerner, à peine observer les voilà changeant. De ces couches de nuages voilant le soleil et venant se poser sur les flots à peine troublés qui feraient l’objectif du photographe, de ces grains de folies venant à peine mouiller la tête que déjà ils s’enfuient. Il n’y a pas de spleen, il n’y a pas de temps, parce qu’ici simplement le temps n’est plus, il file sans doute mais ici, il ne compte pas et on ne le compte pas. Bien sûr il y a le rythme des jours et des nuits, le rythmes des ouvertures des commerces et la sirène du bateau venant déposer puis reprendre ses flopées de voyageurs, seul lien entre le monde agité et la terre calme, ou plutôt, le caillou. C’est ainsi qu’il se nomme, caillou, un bout de roche poussée du fond des eaux, mais de son nom, il s’en fout, on ne vit pas pour un nom, un titre, on vit pour être. Soi. Ce jour frais et plus ou moins gris, combien préfèreront le passer au chaud, enfoui dans le ventre d’une maison à la chaleur presque suffocante lorsque l’on rentre enfin, aux senteurs de miel, de pâtisseries, de thés ou de chocolat chaud ? Combien resteront à
regarder derrière la vitre épaisse les cieux changeants oubliant d’y voir les mille reflets qu’ils savent faire défiler en un rien de temps ? Peu importe, tant pis ou tant mieux, c’est selon, il fait si bon gravir les sentiers comme bon nous semble, s’arrêter sur le vieux banc puis poursuivre la course qui n’en est pas une, pourquoi courir ? Nos existences ne valent rien de mieux que lorsqu’elles se posent, composent et prennent la pose qui s’impose devant cet absolu ravissement qui ne se révèle qu’à ceux qui en prennent le temps. La vie est ainsi faite : on nait, on grandit en voulant tout apprendre, tout voir, tout découvrir, on court pour accomplir cette mission, on entasse des images dans les tiroirs du temps, dans les albums d’images, dans les disques durs des machines puis un jour on s’assied, on regarde, simplement, on photographie du regard ces paysages simples et ouverts, on y fait sa mise au point et on sourit devant tant de beautés et de bienfaits. Simplement. Alors, dans le jour qui descend, on se lève, sans regret, sans affolement puis on rentre vers son port d’attache ou les amarres n’ont jamais été aussi relâchées, on goûte simplement ce trésor qu’on nomme ‘liberté. A jamais.





1 commentaire:

Fabienne a dit…

Quel authentique et viscéral rendu de ce qu’on peut vivre sur ces « cailloux » quand on vit le temps, les instants, les rencontres, la musique, et les ambiances.
Ces cailloux ne nous laissent jamais indifférents.
Un magnifique voyage où « l’émotion brute d’une terre complexe n’en finit pas de fasciner »