Indifférence

C’est encore un de ces matins où la brume hésite entre se jeter à l’eau ou bien rejoindre les cieux, elle s’étire, se déchire comme pour mieux se reformer et faire disparaitre toute notion horizon, quel que soit l’endroit où porte le regard. C’est encore un de ces matins où la plage est déserte, tout juste un promeneur solitaire marchant d’un pas nonchalant sur le sable froid et humide. Quelques pas au gré des vents, à l’aube d’un jour nouveau, quelques pas qui se perdent et se creusent sur une plage désertée.  L’océan se pare de mille reflets, tantôt drapé de gris profonds dans lesquels il se noie, tantôt intense de verts souligné d’une blanche écume, rugissant avant de s’abandonner au sable ocre. Flânerie. Moment propice à l’introspection, ce voyage intérieur dont on ne revient jamais insensible, une étape nécessaire pour remettre en ordre certaines étapes, pour relire certains chapitre à la lumière d’autres événements, pour faire le point, aussi, tout simplement. La mise au point, ce judicieux réglage qui transforme le flou en netteté, cet apport de lumière sur notre obscurantisme à bien voir les choses, où pourrait-on être mieux pour cela que dans un tel endroit, isolé au milieu des éléments. N’être là pour personne d’autre que pour soi, combien de fois a-t’il rêvé de ce moment d’abandon du monde, de fuir tant d’adversité pour plonger dans les abîmes d’un isolement perçu comme une bouffée d’air frais. Non, ce n’était pas les abîmes désormais, oubliées les profondeurs de la terre, aujourd’hui le rêve serait de s’alléger, de décharger les colères, les peurs, les regrets et les manques, se vider de tant de ces liens inertes le rattachant à cette terre maudite pour s’alléger et s’envoler, décoller de ce sable, aller tutoyer les nuages, jouer avec les fous mais plutôt ceux de Bassan, voir le soleil par-dessus la mer de nuage comme cela arrive parfois en gravissant les sommets, se bercer d’airs et d’embruns, vivre libre et léger, au-delà de tout.


L’esprit s’élève bien plus vite que le corps, il puise dans la méditation et l’environnement la force de quitter ce sol imparfait, il se purifie et gomme les surcharges sombres des coups de fouet, des coups de massue, des mauvais rêves et des tristes réalités.  Comme la gomme sur le papier, il efface les traits sans en effacer les sillons, il ne peut rien contre ces cicatrices marquant à jamais le papier trop tendre et tellement griffé. Bien sûr, celui qui pose son regard de loin en verra que du blanc, pour peu que le soleil brille, il n’en verra qu’éblouissement. C’est si facile de ne s’attarder qu’aux mauvais reflets, de ne prendre dans chaque jour que le rayon de soleil qui nous attire, au fond, c’est tellement humain de décider en quelques secondes de qui est l’autre juste parce qu’il brille sous trop de lumière, et parce qu’on n’a pas le temps de s’attarder sur les griffures du papier, fragilité du support, fragilité de l’être, fragilité tout court. L’être n’est pas avoir, mais comme tout être, il est. Complet, entier, jusque dans ses déchirures, jusque dans ses abandons, jusque dans ses chutes, pas seulement dans les rires et les entrains. S’envoler, oui, quitter ce monde qui ne voit au fond que ses pieds pour partir loin, sans un mot, sans un bruit, il ne sert à rien d’exprimer ses douleurs, le monde se fout de ce qui ne l’atteint pas, les bulles se frôlent mais ne croisent jamais, celles légères, emplies de gaité ne voit même pas les plus tristes, qu’elles soient sombres ou bien même à peine transparente, elles glissent dans l’indifférence générale, les rires et les cris de joies, après tout c’est l’été, amusons-nous, rions et oublions…   

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