Nous y voilà donc à ce dernier jour de l’année, cette saint Sylvestre dont les trompettes d’Eole sonnent à plein poumons les feuilles mortes d’un hiver pas encore froid. Impression de déjà vu, amoncèlement de dates, oublis du calepin, hier la table était pleine, la cuisine parée pour régaler combien de convives repêchés des oubliettes, parce qu’un soir de fête on ne peut laisser quelqu’un seul, parce que le partage, l’échange sont nos plus belles joies dans l’existence, parce qu’enfin l’égoïsme qui envahit les êtres deviendra dévastateur pour les temps à venir si nous n’inversons pas la tendance, si nous ne prenons pas garde à ne communiquer qu’avec un clavier, un écran, un bout d’électronique. Hier est hier, mais ces hier d’avant la technologie étaient riches de réalité, de convivialité, de joies réelles. Hier est passé, et avec lui les simples plaisirs de se retrouver, à moins de s’en aller profiter de l’autre, évolution moderne des mentalités, je t’appelle si tu m’apportes quelque chose, je me rappelle à toi parce que j’ai besoin de toi. Exit les sorties skis, bonne humeur garantie et cours gratuits, un qui sait apprend à d’autres qui ne savent pas, et puis, pourquoi changer la donne, puisqu’il y a un véhicule équipé, un chauffeur cumulant les risques de la fatigue, on prend, on cueille et puis, le jour où l’on vole de ses propres ailes, adieu… « tiens, j’ai été au ski, super neige ! » C’est beau l’amitié. Il y a aussi ces tables, ces barbecues, ces repas arrosés pris dans l’ambiance chaude de nos belles soirées d’été, ou près de l’âtre parce qu’il fait frais en automne, on s’invite, sur une adresse, on vient parce qu’il faut qu’on parle à quelqu’un, et on se souvient de l’oreille attentive, de cette épaule prête à accueillir, relation à sens unique, facile de prendre, plus dur de donner.
Peut-être que de l’extérieur, l’image perçue est celle de quelqu’un de fort ? ça serait trop fort, et surtout cela reviendrait à oublier la fragilité de l’être, oublier que les sentiments ne naissent pas d’un bloc d’ acier, oublier que chaque être est un composé multicouche, dure à l’image mais parfois tendre, trop tendre de l’intérieur. Peut-être aussi que pris par le temps on file et on se défile, ou profite et on oublie d’avoir le temps, de prendre le temps, jusqu’au jour des funérailles où là, on se rappelle combien on a vécu, combien on aurait pu vivre. C’est marrant les « on aurait pu », ça rajoute du bien pensant dans un passé d’oubli, ça évite surtout de se remettre en question parce qu’il est dans la nature humaine d’avoir peur de l’inconnu et parce que le plus grand inconnu qui soit pour soi c’est soi. Alors courrons, oublions, profitons, fêtons en de belles agapes cet an qui se meurt, prenons ces belles résolutions toutes brillantes d’idées, d’orgueil, faisons les briller à la table alcoolisée et noyons-les avant qu’elles ne viennent modifier le cours de nos existences.
Oublions le passé, il est mort. La formule est agréable à l’oreille : le passé est passé. Soit. Mais ce passé-là, ce sont tout de même les fondations de notre présent, et à travers lui, de notre futur. Sui nous n’avions pas appris hier, nous serions encore des ignares, attention à la concordance des temps.
Vivons le présent. Dans notre monde, sans regrets qui ne sont que liens inachevés vers le passé, sans attentes qui ne sont que des liens inconditionnels vers un futur qui ne sera peut-être jamais écrit, parce que la vie, c’est un flash dans l’ère de l’humanité, ça vient dans les douleurs d’un accouchement, après les plaisirs d’un accouplement, ça s’étiole à la lumière de soleils pas toujours brillant, et ça peut s’éteindre dans la lumière des phares d’un chauffard alcoolisé un soir de fête, un soir de trop, ou bien encore, ça se meurt sous les feux de la rampe, celles d’un bloc opératoire, celles d’une salle de soins intensifs.
Désolé de casser l’ambiance mais voir c’est savoir, savoir c’est exister en tant qu’être, connaitre les limites d’un jeu que de trop jouent à l’excès. Alors, oui, l’année se termine, celle-ci comme les autres, ce soir pas comme les autres, dans les cris, les rires, les pleurs, la fête, les fleurs, les douleurs, notre monde sera ce soir peuplé de multiples facettes, profitez de la votre, vivez à l’excès, sans excès, et puis n’oubliez pas vos calepins, vos rires, vos pleurs, tout ces petits bouts d’existences qui ont fait ce que vous êtes vous, aujourd’hui.
Passez de belles fêtes, ici comme ailleurs, un jour se meurt, un autre se lèvera, année zéro ou 2012, nouvel an occidental mais non asiatique, à chacun le sien, à chacun ses préférences, mais surtout, portez-vous bien !