Je n'aime pas les fêtes

 Je n’aime pas le fêtes, ou plutôt devrais-je dire, je n’aime plus les fêtes, surtout celles-ci. A chaque fois que décembre approche, c’est le même spleen, le même bourdon, les mêmes presque angoisses. Seraient-ce l’âge, les anniversaires, ou bien tout simplement ces tristes rappels que le calendrier par dates interposées nous égrène ?  Comme pour beaucoup, il y a eu l’enfance, dans la douceur d’un foyer modeste mais aimant, dans ces saveurs sucrées et épicées de plats simples et bons. Dans la joie et les affections, dans ce qui est au fond, une vie familiale. Gâté de peu et de beaucoup, en ces temps-là on se contentait des patrimoines immatériels plutôt que des luxueux cadeaux à trois chiffres. On vivait l’attente et l’attente au fond est toujours la plus belle. Pour aider à patienter, il y avait les visites aux grands bazars illuminés et chargés de jouets. Je me souviens du réseau de trains électriques du grand Carrefour, des vitrines décorées des Nouvelles-Galeries, de son quatrième étage, temple des jouets où le regard et les doigts ne savaient où se poser. « On regarde avec les doigts, on touche avec les yeux » sentence maternelle qui rappelait à l’ordre les envies de tester toutes ces fééries. On prenait l’autobus, montant par l’arrière, prenant un ticket à ce personnage enfermé dans sa cabine puis on allait s’asseoir sur des sièges de similicuir bleu et je lisais les panneaux d’aluminium vissés sur les côtés demandant de laisser sa place à un invalide, une femme enceinte ou bien une personne âgée. Agée, oui, mais de combien ? Le bus nous conduisait à son terminus, Esquirol, place centrale des autobus vieux rose et crème, et déjà la magie de la ville s’éveillait au regard d’un petit garçon. Midica, ses coins et recoins, ses étages et son bazar où l’on trouve tout, du chiffon à poussière à mes premiers crampons de foot, en passant par les inévitables générations de toiles cirées. Dehors il y avait ces kiosques qui m’ont toujours intrigué : fleuriste, journaux mais aussi churros, beignets et autres douceurs parfumées venant chatouiller les narines. Plaisirs olfactifs simplement, le ventre se remplira de retour à la maison. Aux familles modestes les plaisirs simples et modestes. Les voyages sont ailleurs et intérieurs. Puis on marchait dans ces rues aux trottoirs bondées, retrouvant les mêmes clochards au fil des temps, évitant les parapluies trop bas aux baleines agressives, on prenait une ruelle, on débouchait sur la grande rue des grands magasins, la rue Alsace-Lorraine, Monoprix, Printafix, Bouchara, le square du capitole, puis on se faufilait vers la grande façade des Nouvelles-Galeries. Voyage dans les souvenirs aux senteurs parfumées et au regard humide aujourd’hui.

De retour à la maison par le même autobus, la marche à pied vers le nid familial, on ôtait nos bonnets, écharpes et gants de laine, puis on goutait de ces chocolats chauds dont le goût est resté dans l’enfance, de tartines beurrées faisant oublier les beignets et autres churros et pour aider à patienter, on rentrer dans la maison ce vieil ami, conifère du même âge, arraché à sa forêt pour connaitre une vie d’empoté, boite de petit pois pour démarrer son premier âge puis lessiveuse galvanisée. Bien pratique par ses deux poignées, le contenant apportait son contenu odorant et superbe dans notre intérieur. Devoirs familiaux et maternels : attraper ces boites à chaussures hors du temps pour en sortir des boules de verre soufflé, d’autres en métal travaillé et de sempiternelles guirlandes au fil des ans de plus en plus élimées. Quelques boules de coton pour représenter la neige puis la vieille guirlande à huit lampes et sa centrale clignotante aux multiples tours de ruban adhésif. Enfin, toujours le même carton enveloppé de papier crèche, un peu de paille, une veilleuse récupérée sur une machine à laver raccordée par des fils d’avant les règles de sécurité et des personnages de plâtres, un peu abimé par tant d’années traversés pour peupler cette grotte. Comme je les aimais et les aime toujours ces santons… Parfois on achetait une nouveau personnage, un berger, des moutons pour compléter mais les principaux ont traversés les siècles bien plus que mes larmes actuelles. Souvenirs d’enfance.

L’enfance est devenue adolescence, mais toujours les mêmes chaleurs du foyer. Certes nous n’habitions plus à coté de la grande ville, certes nous ne prenions plus le bus, celui qui a remplacé l’autobus, celui qui est piloté par l’homme admirable qui sait conduire et vendre des tickets. Le vieil ami conifère est allé (enfin !) se dégourdir les racines en plein terre et il était temps : elles avaient fait le tour de la lessiveuse, il mit quelques temps à se déployer jusqu’à ce que la tempête de 2009 ne le fasse tomber. Nous avions le même âge, je ne pensais pas lui survivre, il était mon sapin, de Noël comme des autres jours. L’époque est devenue plus riche, les guirlandes se sont remplumées ou plutôt ont été remplacées, la guirlande électrique a pris sa retraite, merci aux foirfouilles gifi et autres trocs. Une nouvelle pleine de couleurs et de clignotement couvrait le sapin. Mes premiers bricolages ont fabriqué une crèche en bois, mais toujours mes vieux santons pour la peupler. Brusquement le temps s’est accélérer, les oisillons quittent le nid mais les repas de famille, les anniversaires et les noëls sont toujours dans le vaisseau mère. Et toujours la mère qui régale, et toujours la mère veille. Sournoisement, le poison est entré dans son corps en dévorant sa vie, sans qu’on pense au pire, il y eut tellement de phase de mieux que nous pensions au soleil plutôt qu’à l’orage sombre. Et puis il y a eu une hospitalisation, en décembre, juste avant mon anniversaire. Première banderille. Temporaire, « elle sera de sortie pour Noël ». On l’attendait impatiemment ce Noël, ces retrouvailles, ces bons moments familiaux. Et puis les échecs de la médecine à combattre le mal, les moins bien et le Noël en clinique. Froid. Deuxième banderille. Et puis, passent les jours, les nuits, les espoirs, on change d’année, pour qu’elle sorte enfin. Les pieds devant. 4 janvier. Troisième banderille. Commence une autre vie, d’autres vies, sans ce personnage central du foyer, de sa famille. Les souvenirs sont rangés dans des cases de la mémoire, dans des boites en cartons, comme les guirlandes, les santons et d’autres choses dont le cœur n’a plus envie. Chaque année qui revient est une année de rappel, chaque Noël qui revient est un Noël de rappel. Tristesse à jamais. Ce sont des moments où l’on souhaiterait se mettre en pause, hors des actualités, des festivités, s’isoler. Dans la nature, une vieille bergerie perdue dans les montagnes, une cabane solitaire, rentrer en retraite, s’isoler pour penser à ces êtres chers que l’on perd au fur et à mesure de nos bougies soufflées. Je n’aime pas les fêtes, celles-ci plus que toutes.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je comprends mieux ces images sur ta page Facebook. La blessure reste ouverte. 😢. Respect.
Annick TROCME