Le
temps file sans bruit, il emporte avec lui les souvenirs, les images, les
étapes de nos vies. Grand bien lui en fasse, de toute façon, je n’en faisais
plus rien. Non, définitivement, la vie n’est pas une grand bibliothèque où l’on
range les histoires et les contes des présents à jamais révolus en les croyant
indéfiniment attachés à notre histoire. Il n’en est rien, plus rien, non pas
que les étagères soient vides, non, au contraire, elles sont pleines de jolies
reliures aux couleurs d’autrefois, mais les tomes que l’on y voit ne sont plus
que recueils de pages blanches. L’encre est partie, en exil vers d’autres
étagères, d’autres bibliothèques, elle a jeté l’ancre ailleurs, sans bruit,
sans mot, juste de temps en temps, le bruit sourd d’un livre qui choit dans une
annonce soudaine, une voix d’outre-tombe, un message social, un avis de vie, un
autre vie, une autre fois, ma foi. Les clins d’œil du temps sont souvent
narquois. Ils font plisser les yeux et nous offre les rides qui ne sont que les
lignes des sourires d’hier. Il n’y a pas de spleen, pas d’amer, pas d’amarre,
il n’y en a même pas marre de ces aller-retour qui ponctuent l’horizon de ces
fumées sans feu, non, il n’y a qu’un amusement, une forme de vie hors du temps,
tel un fantôme qui ne hante que son propre présent. Comment voulez-vous que le
temps s’y attarde ? Des douze coups de minuit, l’an neuf est né, le voilà
déjà dans les langes usées de février, les jours rallongent et montrent leurs
faims de beaux jours, alors soyons beau jouer et jouons de ces belles heures.
Quelques fleurs, un peu plus de profond dans les verts, un air frais et vif, un
air bon à respirer. Premiers pas… Le pied timide glisse sur les roches
mouillées, encore quelques pas, s’approcher du bord, embrasser du regard ce
monde offert, ces minuscules gens qui s’affairent dans mille destins, ces
infimes chemins qui parcourent nos existences, ce pied qui se crispe et
s’accroche aux semelles peinant à mordre la pierre humide. Un balcon sur des
vies, là-haut, sur la falaise, les pas pas très à l’aise des marcheurs
impénitents en route vers d’autres mondes, d’autres trajectoires, d’autres
chemins. Itinérance des Hommes d’où qu’ils soient.
Regard
immobile, le froid de février mord encore, il est temps de rentrer, descendre
sur la ville, s’engager dans les ruelles, sentir les odeurs de cannelle, de
vaisselle, les odeurs plurielles, au fond, c’est assez singulier. Une marche
solitaire au pied d’un escalier, une marche face à d’autres marches, drôle de
démarche, faut-il monter, grimper, s’élever, gravir une à une ces pierres
glissantes, et traverser le pont, le vieux pont de pierre qu’un diable en
d’autres temps a voulu prendre comme piège à âme humaine, un pont de plus où le
diable fut vaincu, la force de l’homme réside dans l’intelligence de ses
stratagèmes et sa foi à sauver ses semblables, comment pourrait-il en être
autrement ? Un pont, au fond, c’est ce trait d’union entre deux rives, ce
trait pointillé entre le ciel et l’eau, au milieu des airs, l’offrande aux
Hommes des quatre éléments en un même lieu. Un pont, une unité, un point de
passage obligé pour qui veut rejoindre l’autre rive. Le vent humide ne laisse
pas de répit, le pas s’accélère, l’envie de s’engouffrer dans une de ces caves
aux canapés moelleux pour s’y réchauffer d’une boisson chaude est tenace. Les
rues sont vides, les âmes sans peine restent bien au chaud, le soleil s’étire
et termine sa course tandis que la pluie revient dense danser sa tarentelle, il
est temps de rentrer. Revenir au point de départ, c’est déjà partir vers un
autre retour… Plonger dans un chez soi et s’approcher de la bibliothèque aux
livres endormis, en tirer un de son sommeil poussiéreux, lire dans les pages
blanches les mots que l’on va y tracer, sans ombre, sans similarité, hier s’est
enfuit, demain viendra lorsque sera son tour, aujourd’hui est présent, le temps
sans fin fuit mais fuit-il vraiment ?
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