Le
temps passe et n’emporte rien si ce n’est que quelques souvenirs sans intérêt,
aucune raison de s’arrêter là-dessus. Les visages ne sont plus de ce monde, les
voix ne résonnent plus dans nos rires mais elles restent à jamais graver dans
nos cœurs et par elles, les visages s’illuminent, ceux d’hier comme ceux de
leurs survivants. Il y a toujours des moments de convivialité où la place vide
n’est pas tout à fait vide, il y a toujours des endroits où l’envers du décor
frissonne des pas faits en d’autres temps, ces pas faits imparfaits qui ne se
conjuguent à présent qu’au passé…. Il y a bien sûr le vide et ses
extrapolations, on se plait à rire, à s’accrocher à cet espoir de croire qu’on
a bien fait et que cette idée de faire aurait trouver écho dans le désir de
faire de l’être cher disparu. On s’accroche, on se raccroche, on s’associe à
l’après, on vit des procurations de vie qui ne sont plus. Il n’y a pas plus de
secret que de règle, il y a la vie, nos vis, vos vies, les leurs, et si notre
monde ne voit que ce qui est dans la même fréquence que lui, cela ne veut pas
dire qu’un autre monde luit lui aussi. Tout juste parfois quelques photos
prises dévoilent ces orbes, ces halos ronds venant ponctuer l’image comme pour
un clin d’œil venu d’au-delà de notre réel, parfois un visage sort, parfois la
flamme du feu dresse le poing, sommes-nous si loin que cela les uns des
autres ?
On
ne cherche pas, on avance au hasard et parfois les rencontres fusent, il
suffirait presque d’être soi, détaché de son monde, enclin à cueillir ces
rosées de vies, sommes-nous donc infinis ? La période est délicate,
trouble et pas facile, les pas succèdent aux vides, les dates sonnent le tocsin
de tous ces départs et le soleil ne brille que sur notre froid, parfois nos
effrois. Ils sont si nombreux, ceux qui ne sont plus là, pourtant, à travers
nous, par nous et en nous, ils sont là, bien présents, bien vivant si l’on peut
dire. Difficile parfois de trouver la quiétude, de retrouver l’allant pour
reprendre la route, mais au fond, a-t-on seulement le choix ? Le temps
passe et file, il tricote dans un sens tandis que la vie détricote nos vies,
les mois s’accumulent et l’on compte les années de toutes ces
séparations : « vivants ou morts, où êtes-vous, j’ai froid de vous ! »
Le
temps fige et blesse les heures meurtries, il apaise la gerçure de l’âme en
sonnant les coups des abandons d’automne. Les feuilles se parent de leurs
dorures avant de choir au sol de nouvelles vies, l’ici gît n’est qu’une auberge
où s’en viennent pourrir les pages vertes d’un vieux calendrier pour en nourrir
les espoirs de nouvelles tendres feuilles. Il n’y a pas d’oraison funeste mais
des oraisons qui fuient et furent. Ainsi s’en va le printemps passé dans
l’hiver qui nait, il tonne et sonne l’automne des feux follets, il prie et
pleure à grands coups de feuilles qui crissent sous nos pieds. Nous ne voyons
de tout cela que les couleurs, belles couleurs de notre temps, mais au fond, ce
temps-ci n’est qu’un entretemps d’autres temps, il nous montre que le passé est
passé, le futur encore bien futur et notre présent reste le seul présent de nos
vies alors vivons et cueillons les cadeaux de ces moments, parce que nous
sommes ici, parce que nous sommes présents, parce que nous sommes vivants. Nous
aussi. Comment ne pas croire en demain alors qu’il suffit d’un peu de pluie
pour redresser les feuilles flétries par ces jours sans eaux ? Comment ne
pas vivre aujourd’hui lorsque le ciel est bleu pur et la pierre intemporelle du
vieux cloître si belle et dorée ? Comment ne pas s’amuser de voir l’herbe
verte se refléter son vert dans les arcs tendus des plafonds gothiques comme
une peinture de moisissure ? Comment ne pas goûter aux charmes désertés
des vieilles villes lorsque ce temps nous est venu, offert comme par magie, comme
un moment pour revoir et relativiser la chance que nous avons, d’être ici et
maintenant ? Que file le temps, nous ne sommes que grains de poussière
dans ses doigts écartés, il nous effleure sans nous toucher, il nous compte
sans nous décompter, il nous voit sans nous voir, nous seuls voyons ou du moins
croyons voir le temps filer, je ne suis pas sûr qu’il faille pourtant en faire
une certitude…
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