Quelques pas encore,
quelques pas presque automatique sur ces sentiers à la fois tellement
semblables et pourtant si différents. Quelques pas qui s’enchainent à d’autres
pas, tout comme l’étape du jour poursuit une autre étape, d’autres étapes dans
cette longue traversée des Pyrénées. Sac au dos bien rempli, charge bien
répartie pour ne pas peser de trop, depuis combien de temps était-il parti ?
Le temps passé sur ces routes n’était pas un temps à la mesure du temps d’en
bas. Chaque seconde était une ouverture sur un monde tellement étonnant, riche
de sensations, de plaisirs simples, de découvertes, il suffisait de cueillir
ces instants, d’y prendre l’énergie simple qui aide à poursuivre sa route, la
longue route sans fin au milieu d’un inconnu qu’on pensait connaitre, dans la
solitude des grands espaces… Dans l’épreuve physique, il y a l’épreuve
psychique, ce lent retour vers soi, cette quasi obligation de l’introspection, l’avancée
parmi l’avancée. L’homme marche aussi dans sa tête, libre, errements erratiques
en plein air dans cette aire sans limite, les pas se reproduisent qu’ils soient
grands ou petits, piste large, sentier étroit, chemin tranquille ou bien
escarpé, rochers à franchir ou barrières à contourner, parfois le bruit d’un
ruisseau, parfois le concert de sonnailles, parfois le retour vers la
civilisation, la traversée d’un village, l’achat de quelques vivres, l’approche
d’un refuge, les grands dortoirs, les randonneurs croisés, les gouttes de
pluies ou les rayons brulant du soleil, la vie n’est que rencontre, la plus
belle étant de se rencontrer soi.
Marcher est si simple, si
basique que bien souvent on en oublie qu’il n’est nul besoin de se compliquer
la vie pour prendre plaisir à la vivre ; Trop de complications nuit, le
jour se lève sans ambages, moment d’éternité éternellement renouvelé, instant
où la lumière vient, où la vie s’éclaire sous un autre jour, un autre sens et
prend dès lors tout son sens. Tellement simple qu’on n’ose à peine y croire, à
trop se compliquer la vie, on finit par ne plus croire en la simplicité des
choses. Pourtant, dès lors qu’on s’éloigne des humains, la notion d’essentiel
et de simplicité devient l’essence même de la vie. Une cabane de berger n’est
plus que des pierres si délicatement empilées, offrant peu d’emprise aux éléments
et tellement d’abri à ses occupants. Le ruisseau se faufile entre des pierres
plates, celles-ci un peu plus longues viennent dessiner un bassin où l’eau
fraiche refroidira les bidons de lait en attente de la cuisson des fromages.
Ces troncs d’arbres juxtaposés forment l’unique passerelle reliant ces deux
mondes, celui de la rive gauche et de de l’habitation, celui de la rive droite
et des parcages. Quelques arbres complètent le tableau, un coin d’ombre, une
provision de bois, un coupe-vent ponctuant un relief qui serait trop lisse sans ceux-là. Où diable
est la complication dans cela ? Simple, efficace, un abri épousant la
montagne sans la défigurer, tellement naturellement, si éternellement. Les pas
autorisent souvent de pareilles découvertes, à la seule condition que les yeux
quittent le bout des chaussures pour se régaler du monde autour.
Ce monde donne le vertige,
trop rapide, trop de gens, trop étouffant ou bien au contraire, désert,
immense, offert, preuves que nous ne sommes que des minuscules grains de
sables, tantôt compressés au milieu des semblables, cons, pressés, sans sens,
sable parmi le sable, tantôt perdu au milieu de nulle part, parce que sans
repère connu, parce que seul, parce qu’oublié, parce que hors d’une norme sans
norme, hors du groupe, parce que c’est ainsi. Un pas de travers ? Non, un
pas à travers le monde appelant un autre pas, une autre monde, et tant pis pour
les images qu’on laisse, la vie est pleine d’images encore inconnues, de
charmes pas si cachés, de trésors sans autres valeurs que celles qui aident l’humain
à se construire. Marcher, simplement marcher, rêver et marcher dans ses rêves…
Un programme !
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