Septembre est parti et avec lui des pages se sont tournées. Pas les plus faciles, pas les plus simples, de belles pages, tout simplement. « Les sanglots longs des violons de l’automne bercent mon cœur d’une langueur monotone » disait le poète. Décidément, cette saison apporte son spleen. C’est peut-être pour cela que l’automne rime avec monotone ou bien inspire tant de mélancolie. L’automne, cette saison où la nature se pare de mille couleurs, peut-être pour nous faire oublier qu’en ces instants, nous rangeons au placard nos mille couleurs d’été. La clôture de la belle saison, comme nous avons l’habitude de le dire. La clôture de belles pages de vies surtout.
Retour de congés maussades, la météo ayant choisi de se reposer
et de pleurer bien tôt cette année. Moral déjà atteint de cette page estivale sans
chaleur ni baignade. Comme pour reprendre très vite ces courses effrénées, trop
effrénées, de nos vies trop actives, les événements s’enchainent. Fidèle
compagnon de plus de quatorze ans, un brin amaigri, comme chaque été passé à
courir et gouter aux lézards, tu as quand même pris tes dernières forces pour
nous faire bon accueil et se faire câliner. L’un et l’autre, avec ta malice et
ta douceur qui ont creusé de profonds sillons dans nos cœurs. Loin de nous d’y
voir des adieux, plutôt la joie des retrouvailles. Hélas, le lendemain n’avait
pas la même figure. Miaulements étranges, gonflement du corps, direction les
urgences vétérinaires. Les pensées plutôt sombres, les inquiétudes, les heures
qui n’avancent pas vers ce foutu rendez-vous, celui des premiers résultats.
Celui des larmes. Celui des choix. Te laisser partir. Ne pas te laisser souffrir.
Un choix difficile. Un choix. Apaisé, tu t’es endormi à jamais dans ton corps,
tu es toujours bien vivant dans nos têtes, nos espaces. Le regard te cherche
encore dans le jardin, sur le lit, le canapé ou les chaises. Tu t’appelais Géo
et tu t’appelleras toujours Géo. Au fond de moi, je suis sûr que quelque part,
dans un autre espace, nous nous retrouverons. Tant de complicité, de douceur,
de compréhension, tant de liens si forts durant ces années, même au plus sombre
de ma propre vie ne peuvent rester ainsi.
Automne non monotone, un autre orage affectif, il tonne encore
et gronde dans nos cœurs. Une autre page, plus longue celle-ci, vingt ans. Vingt
ans à profiter d’une bulle aux portes de la nature, vingt ans à construire des
relations, à découvrir des paysages, à randonner, à déguster des spécialités, à
tester de nouvelles recettes, à vivre au plein air. Vingt ans non monotones,
peuplés forcément de vies, de chagrins et de rires, peuplés de visites, de
partage, de retrouvailles. Vingt ans à voir aussi les transformations d’une
société, d’un modèle. Petit à petit les plus modestes s’en vont, les plus
riches arrivent. Cherchent-ils à revivre le temps des cabanes de l’enfance dans
les achats des plus gros bungalows ? Exit les jeunesses sous tentes, le
temps des premières vacances sans les parents, des premières libertés entre
fêtes de Bayonne et de Dax. Exit les caravanes sorties de leur torpeur pour
quelques semaines d’air iodés, d’engueulades à monter l’auvent, d’odeurs anisée
de grandes tablées de campeurs, de rires et de bonne humeur. Place à l’hôtellerie
de plein air, les alignements de baraques sur roues, toutes plus grandes les
unes que les autres, le culte du tape à l’œil est désormais roi. Une page se
tourne, dans la tristesse, les regrets d’un monde qui n’est plus. Clore des
pages est une chose, c’est là un chapitre qui se clos. Un tiers de vie, et plus
encore. Un chapitre hérité des parents. Le clore, c’est aussi avoir l’impression
de leur manquer de respect. De ne plus être digne de cet héritage. Pourtant, c’est
à bout de souffle que là encore, ce choix se fait. C’est encore dans les larmes.
C’est encore et encore, les sanglots longs de l’automne, sans violon. Décidément,
septembre pique et mord. Octobre est là, il arrive sur les deuils et les
tristesses. Il arrive pour apporter ses couleurs, ses trésors, ses espérances.
Il est présent pour illuminer nos vies. Ranger les livres fermés. Ouvrir d’autres
pages, faire d’autres découvertes, faire naitre d’autres plaisirs. La vie est
un éternel recommencement. La vie est devant, toujours. Ne jamais oublier. Ne
jamais oublier de vivre et de regarder loin. Devant. Loin devant. Merci pour
ces deux belles pages, merci de les avoir écrites, de les avoir initiées. Merci
à la vie de nous faire vivre aussi ces langueurs. Il faut parfois ces larmes
pour ne pas perdre pied ni se faire aspirer dans des tourbillons de vies qui ne
sont pas les nôtres. Nos vies sont ce que nous en faisons. Nos vies sont nos
essences, pleine de sens, parfois cachés, mais nos vies sont pleines de
lucidité. Le livre de nos vies ne s’écrit pas sur quelques chapitres. Ceux-là
sont clos, d’autres sont à l’écriture et d’autres viendront encore… Nul
recommencement, juste des constructions qui passent parfois par des
démolitions, des reconstructions. La vie, tout simplement.